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Ma vie avec un robot

Ils ont sauté le pas et équipé leur officine d’un robot. Six mois, deux ans ou quinze ans après, des titulaires expliquent ce qui les a convaincus et relatent les changements dans leur exercice quotidien.

Par Benoît Thelliez

© FOTOLIA/EVGENIYZIMIN

Automates, puis robots et combinés (automates couplés à un robot) sont apparus il y a une quinzaine d’années dans les back-offices des pharmacies françaises. Si le marché a longtemps été restreint et reste encore aujourd’hui modeste (voir encadré « Un parc encore opaque » ci-dessous), la demande s’accélérerait, selon Olivier Resano, directeur commercial du fabricant Mekapharm : « Depuis deux, trois ans, le marché est dynamique, et nous estimons qu’aux alentours de 170 pharmacies s’équipent chaque année », contre 130 environ les années précédentes. Même si ces données ne sont qu’approximatives, elles témoignent bien de l’attrait d’une partie croissante de la profession pour ces technologies. Interrogés, les pharmaciens équipés assurent qu’ils sont de plus en plus questionnés par leurs confrères sur ce sujet. Tous conseillent d’ailleurs fortement d’aller observer comment fonctionne le matériel en situation chez un collègue avant d’acheter et également de bien évaluer ses besoins pour ne pas acquérir une machine surdimensionnée.

Un marché à maturité

Entraîné par de nombreuses évolutions technologiques entre 2000 et 2013, le marché des automates et robots n’a visiblement plus eu de nouvelles offres saillantes à proposer depuis, hormis quelques mises à jour et autres retouches incrémentales destinées à coller à la pratique quotidienne (lecture du Datamatrix, meilleure comptabilité avec le logiciel de gestion de l’officine, etc.). Si le parc installé reste majoritairement dominé par les automates – qui délivrent très rapidement mais ne rangent pas –, les robots – qui rangent et délivrent – ou les combinés sont des options qui devraient s’imposer à terme, selon Emmanuel Zittoun, directeur France du fabricant Pharmathek. Quoi qu’il en soit, ce manque de nouveautés radicales dans le catalogue doit plutôt être interprété comme l’arrivée à maturité de ces technologies plutôt que comme un signe de stagnation. 
En revanche, la capacité d’adaptation grandissante de ces machines à la taille et aux besoins de chaque officine, même les plus petites, et l’amorce d’une baisse des prix sont des réalités que les pharmaciens encore un peu frileux devraient prendre en considération.

Un robot, différents besoins

Les raisons qui poussent un titulaire à s’équiper sont multiples. Pour Brigitte Ferren, dont la pharmacie de cinquante mètres carrés se situe à Caromb, une petite commune rurale de 3 000 habitants dans le Vaucluse, la décision d’acquérir un automate il y a quinze ans a été prise avant tout « parce que la surface au niveau de l’espace de vente ne permettait pas de tout stocker ». Des questions similaires de « gain de place au rez-de-chaussée » ont poussé Jérôme Cattiaux à installer il y a un an et demi un robot dans son officine de la périphérie de Cambrai (Nord). Il a en revanche attendu d’être propriétaire des murs pour pouvoir réaliser sans contrainte tous les travaux nécessaires. Pour Thierry Hesnard qui possède deux automates dans sa pharmacie de Nogent-le-Roi (Eure-et-Loir), située en zone rurbaine, l’idée initiale a surtout été « de gagner du temps à la délivrance »
Mais, parfois, ce sont certaines circonstances inattendues qui poussent à la décision, comme dans l’exemple de Philippe Delay dont l’officine de quartier, à Cannes (Alpes-Maritimes), « a été ravagée par une inondation » et qui, après être « reparti de zéro », a décidé de privilégier une solution robotisée capable de ranger toute seule. Idem pour Catherine Leyrissoux, dont l’installation d’un robot dans sa petite officine de quartier de Lanester (Morbihan) a été motivée par « des problèmes de dos ». Un robot change donc profondément la pratique. « On ne quitte plus les patients et on gagne du temps pour effectuer les formalités en attendant que les produits nous arrivent au comptoir », explique ainsi Catherine Leyrissoux. Pour Thierry Hesnard, « c’est deux à trois fois plus de temps passé avec les patients ». Quant à Jérôme Cattiaux, il se félicite d’avoir « rendu plus humaine la délivrance de médicaments », tout comme Grégory Bangou, pharmacien à Sainte-Rose (Guadeloupe), pour qui ces instants gagnés permettent « d’engager la conversation avec le patient ».

Essayer, c’est adopter

En plus de cette « qualité de service » optimisée, Philippe Delaye pointe « des journées moins fatigantes », ainsi qu’« une plus grande sécurité dans la délivrance ». Autant de points positifs renforcés par la fiabilité des machines vantée par tous et l’efficacité des systèmes de maintenance et d’entretien dont le coût parfois conséquent, mais négociable, devra être intégré à la facture finale. Quant au retour sur investissement, les titulaires interrogés assurent unanimement qu’il est au rendez-vous grâce à une optimisation de la productivité liée à une pratique libérée de certaines contraintes matérielles. Tout comme Jérôme Cattiaux avouant qu’il serait aujourd’hui « incapable de reprendre une pharmacie sans robot », aucun pharmacien interrogé ne regrette aujourd’hui sa décision.

Salarié contre robot ?

Tous les pharmaciens consultés sont formels : penser que l’acquisition d’un automate ou d’un robot permet de se passer d’un ou de plusieurs de ses salariés est une erreur à ne surtout pas commettre. Selon le titulaire Thierry Hesnard, il est en effet « illusoire de penser que cela permet de licencier quelqu’un ». Son confrère Philippe Delay est du même avis. Il conseille même de « changer de vendeur » si ce dernier met en avant dans son argumentaire commercial la suppression d’un poste. Pour Grégory Bangou, autre pharmacien, il est primordial de « ne pas croire à l’argument avancé par les vendeurs disant qu’un robot fonctionnera tout seul et libérera deux emplois, c’est faux ». Il poursuit en expliquant qu’« un robot bien choisi, bien posé, bien entretenu vous fera gagner du temps, mais occupera toujours votre équipe qui devra être formée et opérationnelle pour toutes les actions de stockage-déstockage et le dépannage courant ». Si tous parlent d’« optimisation des postes de travail », ils sont donc en revanche unanimes sur le fait qu’un robot ne peut et ne doit pas remplacer un salarié.

Un parc encore opaque

Combien d’officines françaises sont équipées d’un système automatisé ? Le chiffre exact reste un mystère. Côté utilisateurs, aucune enquête n’a pour l’instant été réalisée. Côté fournisseurs, ceux que nous avons contactés préfèrent souvent rester évasifs. Certains ont toutefois joué le jeu, comme Omnicell (anciennement Mach4), qui annonce 450 officines équipées, ou encore Mekapharm, « leader » autoproclamé de ce marché, qui garantit « avoir plus de 1 000 pharmacies clientes en France » dotées de l’un des trois produits phares de son catalogue. Quant à Emmanuel Zittoun, directeur France de Pharmathek, sa position sur la question est tranchée : « On ne donne plus nos chiffres, car tout le monde fait de l’intox. » Une tendance qu’Olivier Resano, directeur commercial de Mekapharm, ne réfute d’ailleurs pas en évoquant la capacité de certains à « grossir » le nombre de pharmacies équipées par leurs machines. Quoi qu’il en soit, le parc installé est restreint au regard du nombre d’officines existantes dans le pays : certains fournisseurs estiment qu’environ 2 500 pharmacies sont équipées ; d’autres, qu’« avec toutes les marges d’erreur possible, cela fait toujours moins de 3 000 officines », soit un taux d’équipement qui tournerait autour des 10-12 %.

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