Formulaire de recherche

enseignante-chercheuse en cosmétologie

« Nous devons rester droits dans nos bottes »

Experte universitaire en cosmétologie, Laurence Coiffard n’en est pas moins en prise directe avec l’actualité de l’officine. Elle pose un regard critique et combatif sur les évolutions du secteur, exhortant les pharmaciens à tenir bon dans un combat entre la science et le marketing. 

Par Alexandra ChopardPhotographe Nicolas Kovarik

BioExpress

Professeure à la faculté 
de pharmacie de Nantes, 
Laurence Coiffard 
est enseignante-chercheuse
au sein du Laboratoire
de pharmacie industrielle
et de cosmétologie.
En complément de ses nombreuses
activités universitaires,
elle livre le fruit de son expertise
en formulation et législation
cosmétiques sur le site internet
Regard sur les cosmétiques,
en collaboration avec
Céline Couteau, maître 
de conférences.

  •  2007 : responsable 
    parcours Topiques 
    et Cosmétiques (TopCos)
    du master 2 Sciences 
    du médicament.
  •  De 2004 à 2012 : membre 
    de la commission 
    de cosmétologie et experte 
    externe auprès de 
    l’Afssaps (devenue ANSM).
  •  À partir de 2003 : professeure
    des universités à la faculté
    de Nantes.
  •  De 1999 à 2008 : responsable
    de la licence professionnelle
    santé option cosmétologie.
  • De 1993 à 2003 : maître 
    de conférences à la faculté 
    de Nantes.
  •  1986 : diplômée docteure 
    en pharmacie de 
    la faculté de Nantes.

Quelles sont les tendances actuelles en dermo-­cosmétique ?
Je dois d’abord indiquer que la dermo-cosmétique n’existe pas en soi ! Ce terme est une invention géniale de M. Pierre Fabre dans les années 1970. Il a souhaité vendre ses cosmétiques en officine et a trouvé pour cela un terme spécifique. Je trouve intéressant d’apporter cette précision, comme nous le faisons avec Céline Couteau dans les formations que nous donnons, car il est ancré dans l’esprit de beaucoup qu’il s’agit d’une classe particulière de produits alors que ce n’est pas le cas. Concernant les tendances, nous notons depuis quelque temps le développement des dispositifs médicaux (DM), en particulier dans les gammes solaires ou les produits contre l’eczéma. Les laboratoires historiquement présents en pharmacie veulent quitter le giron des cosmétiques pour proposer des DM. Peut-être parce qu’il n’y a justement pas de statut de dermo-­cosmétique à proprement parler. Celui de DM a une caution médicale supérieure et il permet de faire de la visite médicale. C’est ainsi que certains DM solaires ont pu entrer dans des services d’oncologie. C’est un atout marketing important.

Parmi les solaires, justement, la fiabilité des produits bio fait régulièrement l’objet de polémiques. Qu’en pensez-vous, en tant que chercheuse ?
Le bio s’interdit les filtres organiques, appelés ­d’ailleurs chimiques précisément pour faire peur aux consommateurs. C’est tout à fait préjudiciable. On l’a démontré et on le démontre chaque année : le bio, donc le tout minéral, ne permet pas d’atteindre plus que l’indice 30. Pourtant, cela ne gêne pas ­certains laboratoires d’afficher un indice 50 sur leurs packagings ! Je suis bien consciente qu’il est facile pour moi d’expliquer ce que nous publions dans les revues scientifiques, mais que ce n’est pas moi qui suis confrontée au comptoir à quelqu’un qui dirait qu’il a lu sur tel blog que telle formule conventionnelle est très dangereuse… C’est un peu comme face à un antivax qui a entendu dire que les composants des vaccins sont dangereux. Comment communiquer avec quelqu’un qui s’informe sur Internet ? Il faudrait pour cela interroger les collègues universitaires ­psychologues et sociologues.

De plus en plus de laboratoires proposent des crèmes de jour ­enrichies en filtres solaires. Qu’en pensez-vous ?
C’est une hérésie ! Ces filtres sont des perturbateurs endocriniens. Ils peuvent être allergisants et l’alcool présent dans les formules en favorise l’absorption trans­dermique. De plus, cela brouille le message de santé publique puisque l’on explique par ailleurs que la protection solaire doit être appliquée en couche épaisse et qu’il faut la renouveler toutes les deux heures. Or, personne ne remet de crème hydratante ou de fond de teint toutes les deux heures, encore moins en couche épaisse ! Quelqu’un qui a fait des kératoses actiniques aura besoin d’une protection, oui. Mais la population générale n’a pas besoin de se protéger tous les jours des rayons du soleil, hors exposition particulière type plage, sports d’hiver ou lors d’une longue exposition à l’extérieur. Il va falloir que l’industrie comprenne que cela doit cesser.

La course à la bonne note sur des applications type Yuka est-elle passée de mode ?
Cela ne s’essouffle pas du tout… Ce type d’applications a tellement d’abonnés que, pour les laboratoires, cela représente un potentiel de consommateurs qui est loin de constituer une niche. Un certain nombre d’industriels ont ainsi apposé de manière visible sur leurs packagings les notes reçues par leurs produits et en font clairement un argument marketing. Je déplore qu’ils ne se soient pas battus davantage face à ces applications dont ils sont à présent otages.

Que pensez-vous de leurs critères de notation ?
Les notations sont faites en dépit du bon sens et absolument pas sur un substratum scientifique. De façon générale, elles ont un a priori en faveur du bio assez clair, même si cela aurait tendance à se corriger au fil du temps. Elles ont été bâties là-dessus et elles continuent à jeter le discrédit sur les formules conventionnelles. Ainsi, certains produits que nous jugeons excellents sont notés 20, voire 0 sur 100, ce qui est inadmissible tant ils font partie des meilleurs du ­marché. Cela jette le discrédit sur des ingrédients qui, dans l’état de l’art, sont sûrs. Ces applis se permettent de dire le contraire et cela n’est pas acceptable. Vis-à-vis des professionnels de santé, nous communiquons sur un point important : ces ingrédients mal notés sur les applications sont aussi présents dans les médicaments. C’est par exemple le cas des parabens – des conservateurs majeurs du domaine pharmaceutique – mais aussi des sous-produits de la chimie des pétroles, des PEG… Le jour où des patients consommateurs de cosmétiques le réaliseront, cela risque d’être catastrophique. De plus, la paraffine liquide est par exemple utilisée comme laxatif, mais devra-t-on vraiment donner à un patient qui ne veut pas de cet ingrédient mal noté un dérivé anthraquinonique ? 

« Je déplore que
l’industrie ne se soit
pas plus battue
contre Yuka. »

Pour certains laboratoires, la modification des formules s’est faite très rapidement, dans l’affolement. Les parabens ont pu être parfois remplacés par la méthyl­isothiazolinone et la méthylchloroisothiazolinone dont on a documenté le potentiel allergisant depuis les années 1980. En 2023, elles ont évidemment les mêmes effets : de nombreux cas d’allergie ont été signalés, ce qui a amené l’Europe à ne plus les autoriser dans les produits non rincés. Vouloir remplacer les parabens à la va-vite était donc assez irresponsable.

L’officine est en concurrence avec d’autres circuits de distribution (magasins bio, parfumeries, mais aussi box de cosmétiques). A-t-elle toujours des atouts à mettre en valeur ?
Les applications dont nous parlions juste avant, tout comme les classements régulièrement établis par 60 millions de consommateurs ou l’UFC-Que Choisir, sont globalement injustes avec les produits conventionnels, notamment ceux présents en pharma­cie. C’est pourtant le circuit dans lequel on trouve ceux qui contiennent le moins d’allergènes, un fait loin d’être anodin. La fabrication en est assurée selon des règles drastiques par des laboratoires qui sont familiers de la qualité pharmaceutique exigée pour les médicaments. Il faut que les officinaux restent droits dans leurs bottes, en se référant à des données scientifiques pour ne pas sortir des clous. En effet, en sortir peut s’avérer dangereux à l’égard des patients car cela légitimerait des inquiétudes potentielles : si on lui ment sur les cosmétiques, qui assurera à un patient qu’on ne lui ment pas aussi sur les médicaments ? Je crois qu’il faut parler juste par rapport à ce que dit la science du moment.

De nombreuses petites gammes arrivent sur le ­marché avec un storytelling très travaillé. Leurs formules sont-elles réellement novatrices ?
Ces gammes ciblent une clientèle du même âge que leurs créatrices. Chacune a choisi un positionnement original qui peut parfois laisser dubitatif : l’une explique avoir lancé son projet suite à la découverte d’une tumeur bénigne au sein, l’autre propose de choisir sa teinte de rouge à lèvres en fonction de son signe astrologique… Je n’adhère pas à ce type de démarche, et nous avons pu observer que les formules de ces produits n’ont pas de singularité. Je mettrais cependant Même et Ozalys à part : comme la gamme CHT de Bioderma, elles sont adaptées aux personnes traitées en oncologie et la démarche est à saluer.

« Il faut parler juste
par rapport à ce que
dit la science. »

Cependant, le revers de ce positionnement est d’éventuellement faire passer un message concernant les autres cosmétiques, qui auraient une composition problématique. On remarque aussi que certaines gammes proposent des produits dont la présentation est susceptible d’entraîner des confusions avec des aliments, ce qui est strictement interdit par la législation pour des raisons de sécurité évidentes. Les pharmaciens doivent vraiment être vigilants avec ce genre de propositions.

Sur quels outils les officinaux peuvent-ils s’appuyer pour sélectionner, du point de vue de leur compo­sition, les gammes qu’ils souhaitent référencer ?
Notre site internet Regard sur les cosmétiques peut se révéler très utile de ce point de vue. Au départ, il était conçu pour les étudiants, en complément de nos cours. Il s’avère qu’il est consulté par les industriels, qui suivent ainsi l’actualité de nos tests mais aussi par les pharmaciens ainsi que les dermatologues. Ces derniers nous demandent une présentation sous la forme d’une application. Nous y réfléchissons car cela permettrait de mettre ce contenu à disposition encore plus facilement et serait très pratique pour une consultation au comptoir.

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