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Victorien Brion

« L’officine n’est pas une voie poubelle »

Crise des vocations, économie en berne... la profession désespère-t-elle sa jeunesse ? Non, à écouter ce futur officinal, président de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf), qui rappelle que le diplôme de pharmacien est largement méconnu.

Par Laurent SimonPhotographe Miguel Medina

BioExpress

À la tête de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf) depuis octobre 2013, Victorien Brion se destine à la carrière officinale dès la fin de ses études à la faculté de pharmacie de Strasbourg.

  • Depuis octobre 2013 : président de l’Anepf. 
  • Depuis octobre 2012 : membre du conseil d’administration de l’université de Strasbourg.
  • 2011-2013 : président de l’Association amicale des étudiants en pharmacie de Strasbourg (AAEPS).
  • Depuis juin 2010 : employé à la pharmacie des Tuileries (Strasbourg).
  • 2009 : réussite au concours de pharmacie.
  • 2004 : obtention du baccalauréat S.
  • 3 décembre 1986 : naissance à Strasbourg (Bas-Rhin).

La première année commune aux études de santé (Paces) est née il y a déjà quatre ans. Pour tenter de l’améliorer, des expérimentations ont été lancées pour 2014-2015 : licence de santé, passerelle en deuxième année de pharmacie pour des étudiants en chimie ou en biologie... Est-ce la disparition pro- grammée de la Paces ?

Je vous rappelle que la Paces a été mise en place rapidement, contre l’avis des étudiants, et n’est toujours pas évaluée par les ministères de tutelle à l’heure actuelle. C’est un constat d’échec, en particulier pour notre filière. Un tiers des étudiants en pharmacie suivent aujourd’hui ce cursus par défaut et 10 % ne sont même pas sûrs d’aller jusqu’au bout. Toutes les choses que l’on craignait sont arrivées.

Les études de médecine ont-elles autant pâti de la mise en place de la Paces ?

Je ne connais que le cas des études de pharmacie. Ce que l’on sait, c’est que les étudiants choisissent moins médecine par défaut – le taux constaté n’est que de 2 ou 3 % –, alors que le taux de défection approche des 10% au bout de trois ou quatre ans. C’est donc presque un problème inverse entre nos deux cursus : en pharmacie, certains viennent par défaut mais finissent par trouver un intérêt à leurs études et découvrent que le diplôme leur propose des métiers auxquels ils ne s’attendaient pas. Le facteur limitant de la pharmacie est le manque de communication sur les métiers qu’elle propose. Mais je ne suis pas inquiet : pour la majorité, ces étudiants « par défaut » trouveront un métier qui leur plaira, car notre cursus est riche et varié.

Quelles sont les raisons qui ont mené à créer la Paces ? Les impasses dans lesquelles se trouvent certains multiredoublants n’étaient-elles pas une bonne raison d’agir ?

C’est le jeu de la politique. Tous les cinq ans, il faut reproposer un nouveau schéma. Aujourd’hui, avec ces expérimentations, le gouvernement a proposé quelque chose d’atypique : ne pas imposer un modèle mais laisser les universités présenter des projets, à savoir une sélection plus précoce ou des passerelles en deuxième année. Tous ces dossiers ont été étudiés avec les autres associations d’étudiants, c’est peut-être le seul point positif de cette réforme de la Paces : on apprend de plus en plus à travailler ensemble. Au final, quatre expéri- mentations très différentes dans sept universités ont été acceptées et trois autres facultés vont bientôt les rejoindre. À Angers, la Paces disparaît carrément avec la création d’une licence santé. Rouen a également mis en place une licence santé mais à côté de la Paces et contingentée à 120 personnes, ce qui bloque d’ailleurs au niveau local. À Paris et Strasbourg, la sélection se fait sur dossier avec des modalités légèrement différentes.

Y en a-t-il une qui vous semble plus intéressante que les autres ?

Aucune de ces propositions ne fait l’unanimité. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, nous devons d’abord évaluer leur intérêt. Parmi les indicateurs, nous scruterons le taux d’étudiants qui choisissent pharmacie par défaut. L’avantage, c’est que les personnes venant d’autres licences seront motivées. Pour le reste, on verra dans trois ans, chiffres en main.

Ces expérimentations ne peuvent-elles pas égale- ment permettre à de bons étudiants d’autres filières, qui ne sont pas des « bêtes à concours », de faire pharmacie ?

Certainement, mais le préalable reste de mettre en place une communication auprès des étudiants : s’ils ne sont pas attirés par notre filière, ils ne choisiront pas pharmacie.

Êtes-vous d’accord avec les associations d’étudiants en médecine sur ces points ?

Bien que nous souhaitions le retour à un concours unique, la sortie de notre filière de la Paces ne semble pas envisageable dans le contexte économique actuel. De plus, l’interprofessionnalité est de plus en plus importante – même si elle n’est pas vraiment à l’ordre du jour en première année ! – et elle prend de plus en plus de place au travers des stages dans les années supérieures. C’est très à la mode, on en parle beau- coup, mais il reste encore à la pratiquer. Pour l’instant, la Paces n’a rien apporté en termes d’interprofessionnalité, même s’il est encore un peu tôt pour juger. Les premiers étudiants qui l’ont réussie sont aujourd’hui à peine en quatrième année. C’est la promotion « crash test » puisqu’ils ont aussi connu la réforme LMD [licence-master-doctorat, NDLR]... Nous verrons ce qu’il adviendra.

Les problèmes logistiques au sein des facultés – amphis bondés, informatisation inexistante... – ont-ils été résolus ?

Oui, les facultés se sont équipées. Ces investissements étaient de toute façon incontournables afin de pouvoir continuer à accueillir tous les étudiants.

Les instances de la profession dressent régulièrement des bilans sombres de l’officine : qu’en pensent les futurs adjoints et titulaires ? Ont-ils peur ?

Non, les étudiants n’ont pas peur de choisir la branche officine. On peut néanmoins constater qu’ils sont de plus en plus nombreux à tenter le concours de l’internat, par volonté de ne pas se fermer de portes. Notre génération sait que l’équation « une carrière = un métier » n’est plus vraie. Le diplôme de docteur en pharmacie est unique : même après avoir suivi la filière internat ou industrie, on peut toujours revenir vers l’officine grâce à un diplôme universitaire pour se remettre à niveau. C’est toujours plus facile dans ce sens que dans le sens inverse. L’officine n’est pas une voie poubelle, c’est juste une réalité du marché du travail. Autre fait marquant : cette année, pour la première fois, la filière industrie représente plus d’un tiers des étudiants, qui ne veulent pas se priver d’une possibilité de carrière. Au contraire, ceux qui optent pour la filière officine en sont convaincus dès le début de leurs études. Par ailleurs, au sein de cette filière, l’accès au titulariat se complique : le contexte économique fait réfléchir et temporiser. La grande féminisation du métier, doublée de l’envie de rester proche des villes, fait que le marché du travail ne tourne plus comme avant... Toutefois, il n’y a pas de désamour de l’officine. Les nouvelles missions sont par exemple perçues très favorablement par les étudiants.

Les titulaires leur mettent-ils suffisamment le pied à l’étrier ?

Seuls cinq adjoints ont été intégrés au capital d’une officine en 2013, comme la loi l’y auto- rise depuis juin dernier... C’est très peu. Je m’interroge sur ce sujet depuis le début de mon mandat à la présidence de l’Anepf : ces modalités existent effectivement dans la loi mais pas dans la réalité. Quand on interroge les cabinets d’expertise-comptable, ils nous disent qu’il y a plus intérêt à faire participer l’adjoint au capital... en tant que titulaire. Je serais curieux de connaître plus précisément la situation de ces cinq adjoints. On parle beaucoup aux étudiants de ces nouvelles modalités d’installation, on leur vend le côté positif de ce dispositif, mais des questions restent sans réponse : la liberté patrimoniale, par exemple. Que se passe-t-il si l’adjoint a des parts dans la pharmacie d’en face? Rien ne l’interdit aujourd’hui. Il y a donc un flou entre les discours et la réalité. Les adjoints ne préféreraient-ils pas devenir cogérant et accéder au titulariat ? A contrario, les titulaires ont-ils réellement envie de céder des parts à un adjoint?

À propos de patrimoine, l’image du pharmacien « fils à papa », qui hérite de l’officine de ses parents, est- elle toujours vivace ?

Cette image est complètement désuète ! Nous avons lancé une grande enquête [Tous les résultats du « Grand Entretien » seront connus en septembre-octobre prochains, NDLR] sur les conditions de vie des étu- diants – transports, logement... –, parce que cette image perdure, alors qu’elle est fausse. Les étudiants en pharmacie sont des étudiants lambda avec des modes de vie simples. Mais cela, nous devrons le prouver à nos partenaires. Un exemple : certains étudiants doivent travailler à côté des cours pour financer leurs études, alors que les horaires de tra- vaux pratiques ne le permettent pas toujours. Ces choses n’ont jamais été quantifiées, alors qu’elles doivent l’être.

La profession essaie-t-elle réellement de se récon- cilier avec sa jeunesse ?

Il se trouve que mon mandat à la tête de l’Anepf coïncide exactement avec l’« Opération jeune » de l’Ordre [en octobre 2013, le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (Cnop) s’est lancé dans une « opé- ration nationale d’écoute des jeunes et futurs phar- maciens » avec des réunions en régions et une enquête nationale, NDLR]. En octobre prochain, à Paris, nous ferons dix propositions communes suite à cette vaste consultation que nous avons codirigée en bonne intelligence avec l’Ordre et sa présidente Isabelle Adenot, ainsi qu’avec les représentants des internes en pharmacie. Ce sera la feuille de route de l’Ordre pour les années à venir.

Dernier sujet de taille : le Centre libre d’enseigne- ment supérieur international (Clesi). Un texte paru fin juin va certainement signer la fin de cette forma- tion controversée. Êtes-vous satisfait ?

Ce n’est pas encore la fin, mais c’est l’épilogue de cette histoire ! La filière pharmacie n’était certes pas la plus touchée par le Clesi – 2% seulement des pharmaciens inscrits à l’Ordre ont des diplômes étrangers, contre plus de 4 % chez les chirurgiens-dentistes – mais nous avons toujours eu pour objec- tif de le faire fermer par la voie légale. Il ne s’agissait pas juste de contester de façon stérile ; il faut maintenant que toutes ces formations privées rentrent dans le cadre de la directive européenne. C’est pour- quoi nous sommes pleinement satisfaits du contenu de cet arrêté : le Clesi devra se lier dans un délai de six mois par convention à une université publique et à un hôpital. Je pense qu’aucune université française ne voudra parrainer un tel centre... Plus sérieusement, le Clesi est une supercherie, un montage financier sur le dos des étudiants, qui sont au final les vraies victimes de cette histoire.

D’ailleurs, que vont devenir la vingtaine d’étudiants en pharmacie du Clesi ?

Pour eux, le problème est double : non seulement leur formation n’est pas validante mais, en plus, on n’en connaît ni les contenus ni la qualité. Bruno Ravaz [directeur du Clesi, NDLR] a précisé qu’il était en recherche d’autres « points de chute », pour reprendre son expression, que je trouve d’ailleurs particulièrement bien choisie.

On a beaucoup parlé du problème de la sélection par l’argent car le Clesi coûte 9 000 euros par an, mais, en même temps, des prépas privées très oné- reuses existent déjà en pharmacie. N’est-ce pas la même chose ?

Nous n’avons jamais dit que nous soutenions les prépas privées ! Elles ne sont effectivement pas une bonne chose et créent des ruptures dans l’égalité entre les étudiants... mais elles existent parce que le système le permet. C’est pourquoi nous proposons des tutorats faits par les étudiants, souvent gratuits ou à bas coût, autogérés dans les facultés dans un esprit de compagnonnage, par lesquels les étudiants des années supérieures aident les futurs entrants. Ce sont aussi ces valeurs de partage que nous sou- haitons défendre.

Néanmoins, cela ne résout pas le problème qu’a l’Europe avec le numerus clausus français, consi- déré comme une « entrave » à l’installation des professionnels...

En pharmacie, on se mettait des œillères depuis quelques années. La réflexion sur le numerus clausus, tout comme celle sur la mobilité et l’équivalence des diplômes en Europe, doit se faire sans préjugés et sans être dans une position de défense perpétuelle. Je vous rappelle que l’Europe a aussi réaffirmé récemment le pouvoir des États à gérer leur politique de santé comme ils l’entendent, notamment au niveau du monopole officinal.

Pour autant, pensez-vous, comme Isabelle Adenot, présidente de l’Ordre des pharmaciens, que le nume- rus clausus est « obsolète » ?

Ce qui est vrai, c’est qu’il n’est plus cohérent avec un quelconque besoin sur les territoires. Il n’y a aucune adéquation entre les critères de fixation du numerus clausus et le marché du travail dans l’Hexagone. Pour plusieurs raisons, la premiére étant que 25 % des pharmaciens « s’évaporent », pour reprendre les termes de l’Ordre. Par exemple dans l’in- dustrie, où ils vont parfois mener des carrières à l’international, mais aussi dans des postes où ces professionnels exerceront sans jamais être inscrits à l’Ordre. Le numerus clausus des pharmaciens ne peut donc pas être envisagé seul... et les expérimentations en cours n’y changeront rien puisque aucune ne le remet en cause. Même si nous formions toutes les personnes qui le souhaitent, la réalité de l’économie dans l’industrie ou l’officine fait que le chômage augmenterait, de toute façon.

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