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Le monde change, les virus aussi…

Outre certaines propriétés permettant aux virus de franchir la barrière interespèces, l’émergence de nouvelles maladies virales est surtout liée aux modifications de l’environnement induites par l’homme.

Par Stéphany Mocquery

© adobestock_peterschreiber

Zika, grippe A (H1N1),  Ebola, SRAS, MERS-Cov, Covid-19… Les épidémies provoquées par des virus émergents sont-elles en augmentation ces dernières décennies ? Oui, répond sans détour Patrick Zylberman, professeur émérite d’histoire de la santé à l’École des hautes études en santé publique de Rennes : « Leur nombre est allé grandissant depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et surtout depuis les années 1980 », précise-t-il. Et si scientifiques et autorités sanitaires sont sur le qui-vive lors de l’émergence d’un nouveau virus, ce n’est pas par hasard : à la différence des virus communs circulant depuis plusieurs siècles au sein de l’espèce humaine (virus de grippe saisonnière, de la varicelle, des rhumes…), ces nouveaux virus ont été récemment transmis à l’homme par un animal, ce qui leur confère un potentiel de virulence plus inquiétant. Dans leur grande majorité, ces micro-organismes proviennent d’animaux sauvages porteurs sains (singes, chauve-souris…) avec lesquels l’humain n’est généralement pas en contact. C’est un hôte intermédiaire qui sert de vecteur jusqu’à l’homme : soit un arthropode (moustique type Aedes albopictus, Aedes aegypti ; tique…) pour les virus à transmission vectorielle, soit un mammifère (cochon, civette, singe...) pour les virus à transmission interhumaine. 

ARN et mutations

À condition, cependant, que ces virus soient capables de franchir la barrière interespèces par deux fois : pour passer de l’animal sauvage à l’hôte intermédiaire et de celui-ci à l’homme. Ce qui nécessite d’acquérir à la fois les capacités d’échapper au contrôle du système immunitaire de l’hôte récepteur (immunités innée et acquise) et celles de pénétrer à l’intérieur de ses cellules pour s’y multiplier. Des capacités relativement faciles à acquérir pour ces virus à ARN, pour la plupart : « Ce type de virus se réplique très vite mais avec un taux d’erreurs très élevé et donc un nombre de mutations important, indique le Pr Frédéric Tangy, directeur du laboratoire d’innovation vaccinale à l’Institut Pasteur de Paris. ­Ainsi, à la faveur d’une ou deux de ces mutations, ils peuvent s’adapter à une autre espèce et franchir la barrière interespèce. » Une fois ­celle-ci franchie, le système immunitaire de l’hôte aura d’autant plus de mal à lutter contre l’infection qu’il est naïf par rapport à ce nouveau micro-organisme. 

Modifications de l’environnement

Pour autant, ces capacités de mutation ne permettent pas, à elles seules, d’expliquer l’augmentation des maladies virales émergentes observée ces dernières décennies. Les modifications de l’environnement induites par l’homme (comportements nouveaux en matière agricole, changements démographiques, sociétaux et comportementaux, migrations humaines et animales, modifications de l’environnement liées aux activités industrielles, aux voyages, aux transports…) sont autant de facteurs favorisant les contacts rapprochés entre animaux vecteurs et espèce humaine et, donc, la transmission de ces virus. Les concentrations de population et les voyages internationaux permettent, eux, leur diffusion chez l’homme. Pour les virus à transmission vectorielle, le réchauffement climatique peut aussi jouer un rôle : « Il peut favoriser l’élargissement de zones spécifiques, intertropicales, de certaines endémies vers des zones plus tempérées en permettant l’implantation des arthropodes vecteurs, fait remarquer le Pr Tangy. Si un individu est porteur d’un de ces virus, le moustique peut alors le transmettre d’homme à homme sur ce nouveau territoire », ajoute-t-il.

Mesures nationales et internationales

Si, au niveau national, la lutte contre la propagation des épidémies est du ressort des États, au niveau international, les mesures à prendre pour éviter leur diffusion à l’échelle de la planète sont définies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), laquelle a publié, en 2005, la troisième édition du règlement sanitaire international. « Ce traité international oblige les 193 États membres de l’OMS à mettre en place un certain nombre d’actions pour lutter contre la propagation des épidémies en cas de situation d’urgence internationale décrétée par l’OMS », indique le Pr Zylberman. Pour les pays dits « développés », dans lesquels les systèmes de surveillance des maladies et les systèmes sanitaires sont performants, la mise en place de mesures de protection contre la diffusion d’une maladie infectieuse ne présente, en général, pas de grandes difficultés, hormis le risque d’engorgement du système de soins provoqués par l’afflux des malades. Pour d’autres pays, notamment en Afrique et en Asie du Sud-Est, la situation est plus problématique : « Dans ces pays, les systèmes de santé manquent cruellement de moyens et la situation, en cas d’émergence d’une nouvelle épidémie, peut très vite devenir explosive », fait remarquer le chercheur. La vigilance dont font preuve chercheurs et autorités sanitaires, dont l’OMS, n’est donc pas surfaite : « On a cru, jusqu’aux années 1990, que les épidémies pouvaient être circonscrites à une zone géographique donnée, précise le professeur en histoire de la santé. On sait désormais que c’est faux, que ces virus émergents peuvent apparaître à un endroit et s’étendre rapidement au reste de la planète », conclut-il. 

Grippe pandémique versus grippe saisonnière

Alors que les virus saisonniers épidémiques sont à transmission exclusivement interhumaine, les virus grippaux pandémiques ont, eux, pour réservoirs des oiseaux migrateurs aquatiques et des hôtes intermédiaires comme le cochon. « La permissivité des hôtes intermédiaires à différents virus Influenza humains, aviaires et de mammifères constitue donc un creuset de réassortiments génétiques », indique Manuel Rosa-Calatrava, directeur adjoint du laboratoire de virologie et pathologie humaine VirPath à l’université Lyon-I. Qui plus est, « outre leur système de réplication non fidèle, les virus Influenza ont un génome à ARN segmenté qui leur permet d’échanger des morceaux de génome avec d’autres souches grippales », ajoute-t-il. Autant de facteurs qui font craindre l’émergence d’un virus à transmission interhumaine particulièrement virulent. Et si la grippe saisonnière tue entre 250 000 et 500 000 personnes par an dans le monde, les grippes pandémiques sont beaucoup plus meurtrières : la grippe espagnole a fait plus de 40 millions de morts en 1918-1919, la grippe asiatique (1957-1958) 4 millions et celle de Hong-Kong (1968-1969) 800 000. 

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