Formulaire de recherche

Paul-François Cossa - président de Nères

« Il faudrait délister certaines molécules »

Remarquant l’importance grandissante prise par le pharmacien dans un système de santé marqué par la désertification médicale, le président de Nères livre sa vision de la place essentielle qu’il devrait avoir dans un parcours de soins de premier recours qu’il appelle de ses vœux.

Par Benoît ThelliezPhotographe Nicolas Kovarik

BioExpress

Polytechnicien, Paul-François
Cossa 
a effectué toute 
sa carrière chez Sanofi, 
dont il dirige à présent la division 
Santé Grand Public.

  •  2023 : président de Nères,
    organisation qui représente les
    laboratoires pharmaceutiques
    produisant et commercialisant
    des produits de santé et de
    prévention de premier recours.
  •  Depuis 2022 : président-
    directeur général Santé
    Grand Public France
    du laboratoire Sanofi.
  •  2019 à 2022 : directeur 
    de l’entité Santé Grand Public
    pour l’Europe centrale
    et orientale du laboratoire
    Sanofi.
  •  2017 à 2019 : directeur 
    de l’entité Médecine 
    générale pour le Canada 
    du laboratoire Sanofi.
  •  2015 à 2017 : responsable
    des marchés émergents 
    pour le laboratoire Sanofi.
  •  2012 à 2015 : directeur 
    du développement au sein 
    de la filiale Turquie-Moyen
    Orient du laboratoire Sanofi.
  •  2004 à 2012 : consultant
    en stratégie dans les secteurs
    de la Santé Grand Public 
    et des Biens de Grande
    Consommation.

Le Baromètre Nères 2023 montre que la fréquentation des officines reste soutenue malgré la fin de la pandémie. Est-ce pour vous une tendance pérenne ?
Le lien existait déjà avant la période Covid puisque le pharmacien dispose depuis longtemps d’un capital de confiance important chez les patients. L’épisode de pandémie a assis ce sentiment ainsi que celui de disponibilité du pharmacien. Les nouvelles missions qu’il remplit font qu’il est désormais en contact avec les patients au-delà de son rôle historique et tout cela renforce cette crédibilité intrinsèque de l’officinal en tant que professionnel de santé. L’indépendance du pharmacien français est également un élément de confiance additionnelle dont les patients ont bien conscience. En parallèle, la difficulté d’accès aux médecins généralistes, qui devient de plus en plus fréquente, a mis sur le devant de la scène l’importance cruciale du maillage pharmaceutique ainsi que celle du pharmacien d’officine en tant que professionnel de santé le plus proche géographi­quement d’un ­certain nombre de nos concitoyens. Le Covid a donc installé la crédibilité du pharmacien à un niveau encore plus élevé que précédemment et notre étude montre que la tendance générale n’est pas à un retour à la situation prépandémique.

Comment définissez-vous concrètement cette notion de premier recours ?
Le premier recours est un concept assez nouveau qu’il convient d’expliquer. Je pense que c’est la bonne évolution sémantique par rapport à la notion d’automédication qui charrie des éléments de perception plutôt négatifs, telle la désintermédiation du professionnel de santé. Le premiers recours correspond aux pathologies du quotidien qui touchent neuf Français sur dix, en moyenne cinq fois par an, soit 300 millions d’épisodes de santé. C’est donc la clé pour les patients mais aussi pour le pharmacien puisque cela correspond à 20 % de son chiffre d’affaires et 30 % du flux de son officine. Et c’est enfin loin d’être négligeable pour notre système de santé qui demeure encore trop monolithique : le parcours de soins standard qu’il propose passe d’abord par le médecin puis par le pharmacien, ou bien envoie aux urgences lorsque cela est nécessaire. Mais dès lors qu’il existe 300 millions d’épisodes de santé annuels concernant des maux du quotidien qui appellent une réponse simple et rapide, on perçoit aisément que son architecture actuelle n’est pas ­adaptée à cette réalité. Cette notion de premier recours n’est aujourd’hui pas totalement partagée par les autorités politiques et de santé. Pourtant, des données concrètes plaident largement pour son développement, comme cette étude que nous avons menée il y a peu qui montre qu’un euro investi dans le premier recours en fait économiser sept à huit au système de santé.

Quels sont les produits qui entrent ou pourraient entrer dans cette catégorie ?
Le premier recours couvre trois statuts réglementaires différents : médicaments de prescription médicale facultative (PMF), compléments alimentaires et dispo­sitifs médicaux. Tous présentent des dynamiques d’évolution fortes, mais les deux derniers concentrent des innovations importantes alors que les PMF sont plutôt en berne sur ce volet.

« Nous pensons
qu’il y a un intérêt
collectif à doter
le pharmacien
d’un portefeuille
de solutions de
santé plus large. »

 Si l’on veut pouvoir développer le premiers recours comme un parcours de soins spécifique qui répond à un réel besoin des patients, il faut pouvoir équiper le pharmacien de la bonne boîte à outils dans laquelle figurent ces PMF. Or, depuis une dizaine d’années, le nombre de molécules additionnelles qui sont entrées dans cette catégorie est extrêmement limité. En regardant chez nos voisins, on note d’ailleurs un sérieux décalage puisque le nombre de molécules PMF autorisées en France est d’un peu moins de 100 sur un total de 210 à l’échelon européen. Nous pensons qu’il y a un intérêt ­collectif à doter le pharmacien d’un portefeuille de solutions de santé plus large que celui qui existe aujourd’hui et donc de procéder au délistage de certaines molécules, tout en gardant un parcours de soins remboursable, ce qui est à nos yeux essentiel.

Vos chiffres montrent qu’il y a une augmentation de 20 % de la dispensation hors prescription des médicaments de PMF. Comment l’analysez-vous ?
Cette augmentation est cohérente avec l’évolution globale des produits de premier recours et peut s’expliquer par l’actuelle difficulté d’accès aux soins. Nous avons d’ailleurs mené une enquête il y a six mois qui montre qu’un Français sur deux a renoncé à se soigner au cours des douze ­derniers mois précédant sa réponse en raison de la difficulté d’accès au parcours de soins et en particulier à un médecin généraliste. Cette situation a entraîné un report naturel d’un certain nombre de ces demandes non satisfaites sur l’autre professionnel de santé de proximité, organisé au sein d’un maillage exceptionnellement dense, disposant d’une amplitude horaire très large et qui a aujourd’hui à sa main un certain nombre de médicaments de PMF. Je pense d’ailleurs que cette dynamique va s’amplifier avec, entre autres, le doublement des franchises médicales sur le médicament et l’augmentation globale du reste à charge. En effet, la différence, pour un patient, entre un médicament acheté directement en pharmacie et un médicament de PMF prescrit va être de plus en plus faible et pousser un certain nombre de gens vers un recours en première intention à l’officine.

La FSPF porte le souhait de la création d’une nouvelle classe, une troisième donc, de médicaments qui pourraient être dispensés par le pharmacien sans ordonnance. Soutenez-vous cette approche ?
Le principe me paraît tout à fait pertinent pour quelques problèmes de santé, entraînant par exemple la dispensation d’antibiotiques, en complément des délistages. Il faut que nous construisions ensemble ce type de modalités. Notre conviction est que le pharmacien est le professionnel de santé le plus à même d’être le point d’entrée pour l’ensemble de ce parcours de soins de premier recours. Une fois que cela est dit, il faut se demander comme outiller les officinaux avec un arsenal thérapeutique approprié. Cela passe sans doute par davantage de délistages et, pourquoi pas, effectivement, par la création d’une classe intermédiaire de produits de santé à la main du pharmacien.

« Le pharmacien
est le professionnel
de santé le plus
à même d’être
le point d’entrée
dans ce parcours
de soins. »

  Concrètement, nous pensons qu’il serait pertinent de réunir les différentes parties ­prenantes de la filière du premier recours pour décider des priorités, d’où cette idée de mise en place d’un « Conseil national du premier recours en santé », qui mettrait autour de la table les organisations professionnelles, les ­organisations de patients, les autorités de santé et les industriels. Ce serait typiquement une des attributions de ce conseil de définir les pathologies par lesquelles commencer. Des exemples me viennent à l’esprit, comme celui des douleurs menstruelles pour lesquelles il existe plusieurs molécules en OTC dans d’autres pays européens, ou encore les rhinites allergiques ­saisonnières pour lesquelles les solutions sans ordonnance ne répondent pas ou peu aujourd’hui aux besoins des patients français. Mais l’idée est de pouvoir établir cette gouvernance afin de se prononcer sur l’efficacité et la sûreté des molécules à disposition et émettre des recommandations concernant les pathologies susceptibles, à terme, de faire l’objet de ce parcours de premier recours.

Le délistage de certaines molécules et leur mise à disposition sans prescription médicale ­nécessitera-t-elle des formations complémentaires pour les pharmaciens ?
Je trouve en effet cela capital. Il faut cadrer et aider le pharmacien ainsi que toute l’équipe officinale à donner la bonne orientation au patient. Sur ce volet, les laboratoires peuvent aider dans les aires thérapeutiques pour lesquelles ils disposent d’une expertise certaine en développant, avec les sociétés savantes pertinentes, des formations et des outils, par exemple sous forme d’arbres décisionnels qui partent d’un symptôme ou d’une plainte et qui permettent d’orienter vers une consultation médicale ou une solution officinale. L’expérimentation Osys et les entretiens de prévention montrent que l’idée fait son chemin car cela répond à un réel besoin des patients et à une nécessité pour tout le système de santé. Quoi qu’il en soit, il faudra désormais une volonté politique forte pour faire bouger les lignes, notamment concernant le délistage de plusieurs molécules sans déremboursement. 

© Le Pharmacien de France - 2024 - Tous droits réservés