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Les Académies s'inquiètent de l'« effet hydroxychloroquine »

Les Académies nationales de médecine et de pharmacie émettent un avis très réservé concernant le traitement par hydroxychloroquine et ses conséquences. 

© adobestock_soni's

Depuis le « Fin de partie ! » lancé avec emphase le 25 février par le professeur Didier Raoult au moment où il affirmait que l'hydroxychloroquine était assurément le traitement qui viendrait à bout de l'épidémie de Covid-19, les avis contradictoires sur l'intérêt de cette molécule dans cette indication n'ont cessé d'alimenter les médias. Si tout le monde a une opinion sur le sujet, comme sur à peu près tout comme c'est de coutume en France, nous ne relaierons bien entendu ici que celle des personnes ayant autorité scientifique.

Prudence

Outre la virologue française et prix Nobel de médecine, Françoise Barré-Sinoussi, qui a appelé, le 24 mars dans Le Monde, à ne pas donner de « faux espoirs » concernant ce traitement « dont l’efficacité n’a pas été prouvée de façon rigoureuse », nombreux sont les scientifiques qui restent pour le moment très prudents concernant ce médicament, en raison notamment des résultats d’un essai de traitement par l'hydroxychloroquine mené à l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée de Marseille et présentés le 16 mars par le professeur Raoult. Des résultats certes encourageants, mais relevant d'une méthodologie trop éloignée des standards minimum requis et concernant une cohorte de patients beaucoup trop petite pour pouvoir être considérés comme inattaquables. Devant la pression générale, et alors qu'elle ne l'était pas initialement, l’Institut national des études et de la recherche médicale (Inserm) a finalement consenti, le 22 mars, à intégrer l’hydroxychloroquine dans l’essai européen Discovery qu’il coordonne et qui porte sur 3 200 patients dont 800 en France. Attendus sous peu, les résultats devraient donner des indications beaucoup plus fiables sur l'intérêt de cette molécule dans le traitement du SARS-CoV-2.

Inquiétudes en série

Muettes jusqu'à présent sur la question, les Académies de médecine et de pharmacie ont finalement publié, le 26 mars, un communiqué commun dans lequel elles commencent par constater que « au vu des données actuelles de la science, [...] la démonstration de l’efficacité clinique de l’hydroxychloroquine n’est pas faite à ce jour » tout en reconnaissant l'intérêt de « sa prise en considération par la mise en œuvre urgente d’essais cliniques afin de tester ce produit sur des critères cliniques ». Elles considèrent toutefois que « la libération par les pouvoirs publics de l’hydroxychloroquine pour les malades hospitalisés en détresse respiratoire ne saurait être une réponse adaptée pour des patients dont la charge virale est, à ce stade, le plus souvent inexistante et dont la maladie n’est plus une virose stricto sensu mais une défaillance pulmonaire ». Par ailleurs, au-delà des débats en faveur ou en défaveur de l’hydroxychloroquine à l'utiliser à tel ou tel stade de la maladie, les Académies s’inquiètent surtout d'autres conséquences que cet engouement est en train de générer :

  • les nombreux achats d’hydroxychloroquine par des personnes non atteintes, à des fins souvent plus préventives que curatives, alors que toute prescription hors AMM devrait relever de la seule responsabilité du prescripteur à l’hôpital ;
  • l’utilisation de ce produit à des posologies individuelles sans surveillance médicale stricte, en raison de possibles effets indésirables particulièrement délétères chez les sujets âgés ;
  • l’utilisation possible, sinon probable, de ce médicament sans contrôle électrocardiographique initial ni suivi, notamment en raison de la possibilité de cardiomyopathies ou d’induction de troubles du rythme cardiaque ;
  • le danger que représentent les interactions médicamenteuses ignorées des patients entre l’hydroxychloroquine et certains des médicaments qu’ils prennent habituellement, si l’hydroxychloroquine devait être utilisée sur de grands effectifs de sujets, en particulier chez des patients âgés et polymédiqués, même pour une durée brève ;
  • les confusions possibles dans la population entre chloroquine et hydroxychloroquine ;
  • la vente d’hydroxychloroquine sur Internet, voire la vente de médicaments falsifiés sous ce nom, alors que la délivrance de ce médicament doit impérativement respecter les circuits médicaux et pharmaceutiques officiels ;
  • la difficulté prévisible de se procurer l’hydroxychloroquine pour les patients présentant une maladie auto-immune ou un rhumatisme inflammatoire alors qu’elle est indispensable à la poursuite de leur traitement habituel.

Par Benoît Thelliez

27 Mars 2020

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