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Suspense à tous les étages

C’est la seconde fois que les pharmaciens vont voter pour élire leurs représentants aux Unions régionales des professionnels de santé, mais c’est la première fois que ce scrutin revêt une telle importance pour toute la profession. Analyse.

Par Laurent Simon

Le match des élections aux Unions régionales des professionnels de santé (URPS) de 2010 se rejouera-t-il à l’identique ? En tout cas, les équipes n’ont pas changé. L’enjeu pour la FSPF est de maintenir ou d’améliorer son score de 2010 – 59 % des voix exprimées et seulement cinq régions lui ayant échappé (Nord-Pas-de-Calais, Île-de-France, Bourgogne, Auvergne et Rhône-Alpes) –, l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (Uspo) étant arrivée deuxième à 29 % et l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) arrachant de justesse sa représentativité à 11,7 %. En tout état de cause, il s’agit pour la FSPF de rester au-dessus de la barre des 50 %, synonyme de majorité des votes au sein de la commission paritaire nationale (CPN) à l’Assurance maladie, le lieu où se décident toutes les grandes orientations de la profession. Pour l’UNPF, passer sous la barre des 10 % aurait des conséquences désastreuses : elle ne siégerait alors plus dans les instances nationales.

Clivage libéral

Le syndicat d’obédience libérale compte pour cela sur sa proposition choc : outre lever certaines dispositions réglementaires pour développer la vente d’OTC sur Internet, l’UNPF avance rien moins que la libéralisation du capital des officines, préconisant ainsi son ouverture « aux pharmaciens », c’est-à-dire les « retraités […] ou les pharmaciens d’autres sections ». Le syndicat s’était déjà manifesté en ce sens à plusieurs reprises de manière publique, mais c’est la première fois qu’il « sort du bois ». Une manière de cliver et de se mettre dans la poche les pharmaciens pro-libéralisation. Ces propositions s’inscrivent paradoxalement dans la droite ligne de celles faites par Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, au moment de son entrée en fonction à Bercy. Propositions qui avaient été violemment combattues par les pharmaciens lors de la mobilisation du 30 septembre 2014. Et avaient été écartées par les autres syndicats, notamment la FSPF par la voix de son président Philippe Gaertner, au dernier Congrès national des pharmaciens à Reims.

Seule contre tous

Dans la campagne URPS 2015, outre le capital, la réforme des honoraires occupe évidemment une place de choix. Voulue par les trois syndicats signataires de la convention pharmaceutique de 2012 avant d’être remise en cause ultérieurement par les syndicats minoritaires (Uspo, UNPF) lors des négociations, la réforme cristallise leurs différences d’approche. Unique signataire in fine de l’avenant à la convention pharmaceutique sur les honoraires, la FSPF sera évidemment jugée par les électeurs à l’aune de cette réforme encore en cours, puisque sa deuxième étape – le passage à 1 euro par boîte – aura lieu le 1er janvier prochain, au lendemain du scrutin.

« Dans un scrutin
proportionnel, il s’agit
moins de voter pour
un homme que pour […]
un programme. »
Acteurspublics.com

À un premier argument économique contre les honoraires est venu s’ajouter un second : une vague de contrôles de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) portant sur l’affichage des prix courant octobre. Le risque juridique sur la perception des honoraires en cas de vente de médicaments remboursables achetés sans prescription est dû à l’ambiguïté des textes les régissant, selon la FSPF. Une situation qui devrait être résolue avant fin 2015 par un amendement dans la loi Touraine, comme l’a promis le ministère de la Santé. Reste la fragilisation économique qu’entraîneraient les honoraires. L’Assurance maladie assurait lors de l’observatoire de la rémunération du 22 septembre dernier que le bilan des honoraires était légèrement positif, avec 25 millions d’euros de « bonus » pour le premier semestre 2015, en très grande partie grâce aux honoraires de dispensation pour ordonnance complexe de plus de cinq lignes, qui représentent à eux seuls 22 millions d’euros. La Caisse nationale conclut dès lors à un « impact positif » qui permettrait de rattraper environ « 20 % de [celui] des mesures LFSS 2015 [loi de financement de la sécurité sociale, NDLR] ». Reste donc 80 % du problème, matérialisé par le plan d’économies du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) – 1,7 milliard sur le médicament – qui a également été annoncé fin septembre. Difficile de défendre un effet positif des honoraires tout en déplorant les baisses de prix annoncées.

Accords et désaccords

Pour profiter du levier économique des honoraires « complexes », la FSPF a proposé le 15 octobre dernier un plan d’urgence, comprenant notamment le doublement en valeur des honoraires de dispensation pour les ordonnances de plus de cinq lignes (voir « Les suites du plan d’urgence pour 2016 ») et leur extension aux ordonnances bizones. Si la proposition aboutit, le montant de ces honoraires « complexes », qui constituent un bonus économique pur, triplera en année pleine. Rappelons que plus de 110 millions d’ordonnances bizones sont émises tous les ans . Ambitieux en ces temps de restriction budgétaire et nul doute que les autres syndicats d’officinaux ne l’entendront pas de cette oreille. En outre, si Nicolas Revel, le directeur général de l’Assurance maladie, assure vouloir renégocier les honoraires (lire notre interview de Nicolas Revel), il a aussi précisé ne pas vouloir le faire immédiatement : le début de l’année 2016 sera consacré aux négociations sur la convention médicale. 
Il n’y a néanmoins pas que des désaccords entre la FSPF, l’Uspo et l’UNPF. Ainsi, les honoraires à l’ordonnance sont un objectif commun aux trois syndicats, même si les façons d’y parvenir diffèrent. Des points de convergence existent également sur l’évolution du métier : le développement de la conciliation médicamenteuse, de l’observation pharmaceutique, des bilans de médication ou de la préparation des doses à administrer (PDA) rémunérée ne fâchent personne. En d’autres termes, quand il s’agit de nouvelles missions, l’union sacrée prévaut. Pour preuve, les trois syndicats participent de concert à l’élaboration au sein de la Société française de pharmacie clinique (SFPC) d’une étude baptisée Rephvim, sur la conciliation médicamenteuse. L’économie ne fait donc pas tout. 
En attendant que le suspense soit levé à la proclamation des résultats le 11 décembre prochain, les pronostiqueurs de tous bords devront compter sur trois inconnues. L’abstention, en premier lieu. Les pharmaciens s’étaient très bien comportés lors des précédentes élections de 2010, avec un taux de participation de 61,47 %, le meilleur de tous les professionnels de santé concernés : médecins, sages-femmes, masseurs kinésithérapeutes… Si ce chiffre a baissé chez les médecins (voir encadré ci-dessous), le fort taux de participation – très supérieur à celui des élections ordinales, par exemple – en fait un bon baromètre, le seul en réalité, de la représentativité syndicale, ce qui explique l’âpreté des campagnes.

Équations électorales

Deuxième inconnue, la réforme territoriale, dont tient compte le scrutin URPS, et qui implique le passage de vingt-deux régions à treize. Au petit jeu de ce redécoupage électoral, une situation équivalente à 2010 donnerait à la FSPF l’avantage dans la très grande majorité des cas, sauf en Auvergne-Rhône-Alpes, en Bourgogne-Franche-Comté ou en Nord-Pas-de-Calais-Picardie où elle se retrouverait en situation de ballottage… Troisième et dernier facteur : le spectre d’un vote sanction, surtout que le mode de scrutin proportionnel au plus fort reste est favorable aux petites structures. « Il s’agit moins de voter pour un homme que pour un parti ou un programme », précise le site Acteurspublics.com. C’est donc une opposition syndicat à syndicat à laquelle assistent les pharmaciens dans laquelle de surcroît les considérations locales ont au moins autant d’importance que les mots d’ordre nationaux. Les URPS seront-elles jugées sur leur bilan ? Si certaines sont très actives localement, aucune de leurs actions n’a été généralisée et leur existence reste encore un peu nébuleuse pour les pharmaciens. Bien malin qui saurait prévoir le verdict des urnes. 

une campagne à couteaux tirés

La lutte pour la suprématie entre syndicats médicaux – Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), MG-France et Fédération des médecins de France (FMF) – fut aussi violente que prévue. Le scrutin, dont les résultats sont tombés le 16 octobre, a permis de départager les deux grandes centrales syndicales, à savoir MG-France et la CSMF, malgré une participation en berne avec 39,92 % de votants. MG-France sort vainqueur sur le collège généraliste avec 31,27 % des voix mais c’est surtout la percée des radicaux « anti-Touraine » sous la bannière FMF, menée par Jean-Paul Hamon, qui a marqué les esprits. Ces derniers ont récolté 27,62 % des voix et se positionnent juste derrière MG-France, avec une progression de 9,17 % par rapport au précédent scrutin de 2010. Distancée, la CSMF se retrouve troisième dans ce collège avec un score de 20,25 %. Le vote sanction a joué à plein et les syndicats ne se sont rien épargnés pendant la campagne. Chez les chirurgiens, les anesthésistes et les gynécologues-obstétriciens, ce sont les opposants du Bloc qui ont raflé la mise en passant de 28,24 % à 66,79 %. La CSMF rattrape le coup chez les autres spécialistes, avec 40,65 % des voix, « suivie du SML avec 28,94 %, de la FMF avec 21,77 %, du Bloc avec 4,41 % », précise la direction de la Sécurité sociale, qui a organisé ces élections. Le bilan côté interpro n’est pas bon : la campagne 2015 a considérablement tendu les relations entre pharmaciens et médecins. Si les mots d’ordre de grève à répétition n’ont eu qu’un impact limité sur l’officine – 14 % de facturation en moins selon l’Assurance maladie pendant la journée du 5 octobre et quelques centaines de cabinets fermés, selon la ministre –, ces élections ont fait au moins une victime collatérale : la vaccination par les pharmaciens. Le président de MG-France, qui criait victoire en mars dernier suite au retrait de l’article de la loi Touraine comprenant cette mesure, la soutenait pourtant quelques années auparavant, comme il le déclarait dans nos colonnes : « Laisser la vaccination se faire entre pharmaciens et infirmiers : sur le fond, cela ne nous pose aucun problème » (voir « L’Interview », Le Pharmacien de France, no 1226). Son opinion évoluera-t-elle à nouveau ? La politique a ses raisons que la raison ignore parfois.

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