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Le rachat de clientèle

Acculées par leur situation financière, certaines pharmacies peinent à trouver un acquéreur. Une situation qui peut être résolue en vendant sa clientèle aux officines environnantes.

Par Claire Frangi

© Miguel Medina

Sur la même place de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), deux pharmacies distantes de 50 mètres. La première, installée depuis trente-neuf ans, est dirigée par une titulaire qui avait juré qu’elle « mourrait derrière son comptoir ». Mais la baisse du chiffre d’affaires, année après année, et la maladie ont eu raison de sa volonté. Celle qui avait jusque-là refusé les avances de sa voisine et concurrente, la pharmacie du Village, qui lui proposait de racheter sa clientèle, finit par céder, à bout de souffle, en mai 2014.

« Six mois plus tard, tout était réglé. C’était une toute petite pharmacie, qui n’aurait pas pu être revendue avec un si petit chiffre d’affaires et une personne embauchée à temps plein, confie la titulaire acquéreur, Mme Tran Nu. Avec maintenant cinq mois de recul, je peux dire que l’opération [dont elle ne souhaite pas préciser le montant, NDLR] a été positive parce que j’ai récupéré entre 50 et 65 % des clients. Ce qui a beaucoup aidé à les faire venir, c’est que j’ai conservé l’ancienne adjointe, qu’ils connaissaient bien. » Quant à son propre chiffre d’affaires, il aurait augmenté « de 20 à 25 % ».

« Une tranquillité d’esprit »

Ni phagocytage ni profit éhonté, ce type d’opération financière « a du sens pour le vendeur, après quarante ans de bons et loyaux services », note Philippe Becker, directeur général de région chez Fiducial Expertise, société de services aux petites et moyennes entreprises. C’est aussi la satisfaction de voir que son personnel pourra continuer à travailler, dans les cas où il est réemployé par l’acheteur. Pour celui qui reprend la clientèle, « c’est un petit plus qui booste l’activité, même si l’opération n’est pas miraculeuse puisque ce sont souvent de petites officines, à faible valorisation, avec une clientèle âgée, indique Philippe Becker. Tout pharmacien devrait se demander, lorsqu’un un voisin vend, s’il n’a pas intérêt à se rapprocher de lui. Car lorsque des concurrents très actifs arrivent, alors là tout le monde pleure. Dans les grands centres urbains, le rachat de clientèle est avant tout une tranquillité d’esprit. »

Dans les grandes villes, la cession est également considérée par les experts comme un moyen de revenir vers le quorum. Autre avantage de ce type de transaction, du point de vue de l’acquéreur, elle se fait pour « un prix de vente inférieur, en moyenne, à 50 % du prix du marché », signale Me Annie Cohen Wacrenier, avocate du cabinet ACW Conseil, qui évalue le chiffre d’affaires des pharmacies qui ferment « entre 0 et 1 000 000 d’euros » et précise, par ailleurs, qu’en principe il faut compter un an et demi à deux ans entre le début des négociations et la conclusion du dossier.

Gare au redressement fiscal

Toutefois, cet outil de croissance externe, amené à être de plus en plus fréquent (voir Le Pharmacien de France, no 1253), n’est pas exempt de risques. La première incertitude concerne le report de clientèle. « On est parfois très surpris, avance Philippe Becker. S’il est fort en milieu rural, en ville c’est plus compliqué. » Autre risque : une fois la licence rendue, le quorum est réalimenté ; sur le papier, il est donc possible à un nouveau pharmacien de se réinstaller. « Mais, en réalité, c’est un faux problème. Une réinstallation est peu probable à Paris, Bordeaux ou Marseille. Et dans une commune à la limite du quorum, normalement la pharmacie est rentable et n’a donc pas besoin de vendre », estime l’expert de Fiducial. Par ailleurs, « sur le plan humain, c’est également un dossier compliqué, tant pour l’acquéreur que pour le vendeur : il est difficile de faire entendre raison à un concurrent, de le convaincre qu’il doit fermer », assure Me Cohen Wacrenier. Enfin, il arrive également que les services fiscaux contestent le prix de vente, lorsqu’il est bas, et décident de le réévaluer en le taxant sur la base des prix du marché et non au prix de l’acquisition. C’est à ces « impôts qui s’estiment lésés » que la pharmacie Lasserre à Thouars (Deux-Sèvres) est confrontée. Sa titulaire confie être dans l’attente d’une réponse au courrier qu’elle a envoyé, regrettant « un système fiscal qui n’est pas favorable ». Malgré cette mésaventure, tout semble aller pour le mieux au pays du rachat de clientèle. 

Les actes qui font foi

Une fois les conditions négociées, l’avocat établit un compromis de cession de clientèle assorti de conditions suspensives – l’accord de financement – et réglementaires – l’autorisation de l’agence régionale de santé (ARS) pour la fermeture –, puis l’acte constatant la réalisation de la vente et le paiement du prix. Ces textes doivent mentionner :

  • les quotes-parts de chacun des acquéreurs : le prix de vente peut par exemple être proportionnel à la proximité géographique. Un complément de prix, en fonction du taux de récupération du chiffre d’affaires, est aussi envisageable ;
  • qui supporte le coût du bail lorsqu’il n’est pas résiliable avant l’échéance ;
  • si le personnel sera repris par l’acheteur ; dans la négative, définir qui supportera les frais de licenciement ;
  • la répartition du stock ;
  • la gestion des contrats d’exploitation en cours (leasing, maintenance…).

Puis l’acheteur envoie un courrier motivé à l’ARS, qui a quatre mois pour répondre. Par l’arrêté de fermeture, elle constate la caducité de la licence. De son côté, le vendeur doit demander à l’Ordre des pharmaciens sa radiation de la section A.

À l'initiative de qui ?

• Soit le pharmacien démarche ses confrères les plus proches (parfois via une agence de transactions ou son expert-comptable) pour leur proposer de lui racheter, au prorata, une part de sa clientèle moyennant la caducité de sa licence. C’est ce qui arrive pour les petites officines, réalisant un faible chiffre d’affaires, installées dans un contexte rural de désertification ou mal situées (emplacement, quartier sensible).

• Soit les confrères aux alentours du pharmacien vendeur prennent eux-mêmes l’initiative, dans un contexte de ville de taille moyenne ou importante, plutôt que de voir arriver une enseigne low cost. Il arrive que le pharmacien ne soit pas vendeur au départ, mais qu’en raison d’un contexte économique tendu ou d’officines en surnombre, ses confrères finissent par l’en convaincre.

NOTABENE

Le rachat de clientèle, prévu par le Code de la santé publique depuis 2011, est également appelé parfois « cession-destruction ».


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