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Pierre Béguerie - président de la section A de l'ordre des pharmaciens

« On nous attend au tournant »

Récemment élu à la tête de la section A (titulaires d’officine) de l’Ordre des pharmaciens, Pierre Béguerie entend s’appuyer sur son expérience de conseiller ordinal régional pour accompagner au mieux les officinaux dans les évolutions du métier.

Par Christophe Micas et Benoît ThelliezPhotographe Nicolas Kovarik

BioExpress

Passionné de montagne,
de ski de randonnée,
de télémark mais
également de cyclisme,
Pierre Béguerie
l’est aussi par son métier
de pharmacien d’officine
pour lequel il considère
que la qualité et le service
aux patients sont
des valeurs cardinales.

  • Depuis juin 2019 : président du bureau du conseil central de la section A (titulaires d’officine) de l’Ordre national des pharmaciens.
  • Depuis 2001 : président ordinal de la région Aquitaine puis
    Nouvelle-Aquitaine.
  • 1988 : installation en tant que titulaire à Bidart (Pyrénées-Atlantiques)
    après des expériences d’adjoint successivement à Bayonne, Arcangues et Pau.
  • 1979 : diplômé de la faculté de pharmacie de Bordeaux. (Gironde).

Vous avez déclaré vouloir resserrer les liens entre les pharmaciens et l’Ordre. Quels moyens comptez-vous employer pour y parvenir ?

De par mon expérience à la présidence d’un conseil régional de l’Ordre, je suis souvent surpris de constater que nos confrères nous interrogent régulièrement sur des questions de réglementation et de vie courante de l’officine alors que nous mettons à leur disposition des outils complets qu’ils utilisent insuffisamment. Je parle ici du site internet de l’Ordre qui n’est pas assez visité par les pharmaciens alors qu’il constitue pour eux une mine d’informations. Il est vrai qu’ils n’ont plus ni le temps ni l’envie d’aller aux réunions le soir et l’Ordre doit donc s’adapter à cette évolution professionnelle et sociétale. Il est important que l’Ordre puisse aider les pharmaciens à conférer du sens à ces évolutions et les guider dans les perspectives qu’ils pourraient donner à leur exercice.

Les pharmaciens n’ont-ils pas tendance à ne voir l’Ordre que comme une institution coercitive ?

C’est possible. Pour moi, dans « Conseil de l’Ordre », le premier mot c’est « conseil ». Depuis que je suis conseiller ordinal, c’est dans ce sens que je promeus ma fonction. « Ordre », le second terme, est afférent à la déontologie. L’Ordre est le gardien de ces règles ; il gomme l’asymétrie qui peut exister entre un « sachant »  et un « patient » au bénéfice de ces derniers. Mais j’insiste sur le fait que le conseil est primordial. À ceux qui estiment que la cotisation est excessive, je leur réponds toujours qu’elle sert justement à développer cette régulation interne à la profession. Il me semble essentiel que les pharmaciens puissent trouver auprès d’une institution telle que la nôtre des professionnels en phase avec leurs préoccupations quotidiennes.

L’Ordre a défendu le principe d’une « prescription pharmaceutique ». La dispensation protocolisée désormais inscrite dans la loi répond-elle à vos attentes ?

La démarche engagée avec cette mesure est bonne car elle prévoit que les professionnels de santé travaillent ensemble, dans la coopération. La dispensation protocolisée n’est pas éloignée du principe que nous défendions, même si le terme « prescription » n’était pas forcément le plus adapté. Les compétences de chacun sont bien définies et il n’est pas question de prendre la place des uns ou des autres, qu’ils soient médecins ou infirmiers. Le texte adopté donne des garanties puisqu’il prévoit que les dispensations protocolisées ne puissent s’effectuer que dans le cadre d’un exercice coordonné avec les médecins. L’essentiel aujourd’hui est que les professionnels se réunissent autour du patient et travaillent ensemble avec l’objectif d’améliorer la santé publique. Cela participe également d’un élargissement du rôle du pharmacien dans la prise en charge de premier recours.

Les pharmaciens d’officine sont actuellement confrontés à une recrudescence des actes d’incivilité et de violence. Quelles mesures l’Ordre peut-il prendre pour améliorer la situation ?

J’invite les pharmaciens à déclarer auprès de l’Ordre tout acte de violence, aussi bien les incivilités que les agressions physiques ou verbales. C’est fondamental car c’est grâce à ces signalements que nous pourrons montrer la réalité du vécu de la profession aux pouvoirs publics. Depuis que je suis pharmacien, le métier a beaucoup évolué : le cadre réglementaire s’est renforcé, tout comme la pression des organismes d’assurance maladie qui nous demandent de plus en plus de contrôler les droits de leurs assurés. Nous sommes devenus par la force des choses le premier guichet de la Sécurité sociale ! Tout cela est générateur de conflits, d’autant que nombre de patients partent du principe qu’ils ont des droits, tout en oubliant qu’ils ont aussi des devoirs. La plupart ignorent que la pharmacie est une profession réglementée et que la dispensation des médicaments s’effectue dans un cadre précis. Cela provoque des tensions mais les pharmaciens doivent avoir une position ferme car il en va de la pérennité de notre profession. Le maintien du monopole de dispensation et de l’organisation territoriale en dépend. Plus largement, cette hausse des agressions dans les officines n’est que le reflet du délitement de la société. Toutes les pharmacies de France y sont confrontées.

Quels sont les dossiers sur lesquels vous allez vous pencher prioritairement en ce début de mandat ?

Il s’agit sans conteste de la problématique des changements profonds auxquels notre profession est confrontée. Il importe de pouvoir donner du sens à ce travail intellectuel du pharmacien et de conforter ce dernier comme maillon essentiel de la chaîne de soins. Les confrères doivent comprendre que, dorénavant, le plus gros de leur travail passera par l’utilisation de leurs compétences intellectuelles dans un environnement d’une qualité irréprochable. Il faut bien réaliser qu’on nous attend au tournant et que nous nous devons de respecter les missions dont nous avons hérité. Cela ne sera pas forcément simple car plus de la moitié de nos confrères ont plus de 50 ans et n’ont pas cette culture. Je crois réellement que les pharmaciens sont à un tournant culturel qui va les amener progressivement à intervenir dans une prise en charge globale du patient et non plus seulement dans la gestion de leur thérapie.

Que peut faire l’Ordre pour permettre aux pharmaciens de s’accoutumer à cette nouvelle organisation ?

Il faut leur mettre à disposition des outils très pragmatiques pour compenser ce manque de temps et leur faire savoir qu’ils existent. Cela ne pourra pas se faire du jour au lendemain car nous devons d’abord les adapter aux nouvelles missions. Nous avons déjà beaucoup appris grâce aux retours des confrères concernant la plate-forme que nous avions mise en place lors de l’expérimentation de la vaccination antigrippale à l’officine.

La hausse du nombre de fermetures d’officines enregistrée en 2018 ne vous fait-elle pas craindre un risque d’apparition de déserts pharmaceutiques ?

Il faut approfondir l’analyse de ce phénomène. Mais l’augmentation des fermetures est pour bonne partie le fait de regroupements de pharmacies. Il faut aider les pharmaciens à adapter leur modèle pour l’exercice actuel avec l’arrivée des nouvelles missions, des entretiens pharmaceutiques et des bilans de médication. Toutefois, ces fermetures concernent aussi des officines fragiles installées dans des zones reculées et qui doivent continuer d’exister. Elles doivent être soutenues pour maintenir le maillage territorial. Mais pour le préserver, il faut également que la population soit suffisante. Le quota actuel d’une pharmacie pour 2 500 habitants permet à une seule officine de vivre. Une pharmacie qui couvre entre 3 000 et 4 000 habitants a davantage les moyens de mettre à leur disposition les équipes nécessaires et d’apporter un service étoffé. Le challenge est désormais de trouver comment offrir un maillage territorial efficient tout en apportant un service adapté aux évolutions actuelles. Nous attendons encore des textes du ministère pour faciliter l’adaptation des officines dans les territoires fragiles. Il s’agira probablement d’aller plus loin dans la reconnaissance du rôle essentiel que jouent les pharmacies rurales dans la préservation du tissu sanitaire et social.

Pour finir sur des questions d’actualité, qu’avez-vous à dire concernant les ruptures et la mise en place de la télémédecine ?

La section A est en première ligne par rapport au problème des ruptures : les pharmaciens font tous les jours face au mécontentement des patients qui trouvent anormal que cette situation perdure. Cependant, je tiens à dire que les officinaux ont extrêmement bien réagi en trouvant à chaque fois une solution adaptée à chacun. La ministre de la Santé, qui a choisi l’Ordre pour annoncer son programme de lutte contre les pénuries, a d’ailleurs bien saisi l’importance du système DP-ruptures que nous avons mis en place. J’en profite pour rappeler que sur les 27 000 pharmacies, il en reste encore 12 000 dont les logiciels ne sont pas « DP-ruptures compatibles » et je les invite à demander à leur prestataire informatique de leur mettre à disposition cet outil. Concernant la télémédecine, cette pratique est désormais ouverte par les textes réglementaires et conventionnels. C’est une possibilité de service que le pharmacien peut offrir dans le respect des principes réglementaires et déontologiques.

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