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Emmanuel Déchin - délégué général de la CSRP

« Il faut aller à la pêche au produit »

Le délégué général de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP) revient sur le long ­épisode des ruptures ainsi que sur les difficultés économiques d’un secteur qui garantit la distribution ­équitable des médicaments sur l’ensemble du territoire. 

Par Benoît Thelliez

BioExpress

Sur tous les fronts des 
problématiques du secteur de
la répartition pharmaceutique,
Emmanuel Déchin 
a notamment coordonné 
la contribution des
entreprises du secteur
dans le cadre de
la crise de la Covid-19.

  •  Depuis 2006 : délégué
    général et directeur
    des affaires publiques
    de la CSRP.
  •  De 2001 à 2006 : DRH
    international puis responsable
    communication chez L’Oréal.
  •  De 1998 à 2001 : diverses
    missions à l’Inspection 
    générale des affaires sociales.
  •  De 1996 à 1998  : chargé 
    de mission auprès du DRH 
    du ministère de la Défense.
  •  De 1991 à 1996 : adjoint 
    au chef de cabinet 
    du chef d’état-major
    des armées, puis
    du Premier ministre,
    puis chef de cabinet
    du ministre de l’Industrie.
  •  De 1988 à 1991 : chef
    de service commissariat
    sur deux bateaux
    de la Marine nationale.

De quelle manière les grossistes-répartiteurs sont-ils touchés par le phénomène des ruptures ?
Nous le sommes au même titre que les pharmaciens. Nous passons des commandes aux laboratoires pharmaceutiques qui ne sont pas en mesure de nous livrer et par conséquent nous ne sommes pas nous-mêmes en mesure de livrer nos clients officinaux. Si le pharmacien évoque souvent la relation compliquée avec ses patients quand il y a des ruptures, le même ­phénomène existe entre les ­grossistes-répartiteurs et les pharmaciens. Les ruptures d’appro­visionnement compliquent clairement la relation client. Le service approvisionnement des répartiteurs est aujourd’hui beaucoup plus « staffé » qu’il ne l’était il y a cinq ou dix ans, époque où cela fonctionnait de manière assez mécanique avec des algorithmes de commande. Il faut désormais aller à la « pêche au produit ». Il y a enfin une problématique qui apparaît à tous les échelons derrière les ruptures, celle de l’information. Il s’agit d’un sujet complexe puisque cette information est par définition évolutive et je reconnais que nous avons collectivement des progrès à réaliser sur ce volet. Par ailleurs, nous avons souvent observé, avec l’ANSM et d’autres interlocuteurs, une distorsion entre les quantités mises sur le marché telles qu’annoncées par les laboratoires et les quantités effectivement réceptionnées par les répartiteurs. Les données des grossistes sont fiables et je ne vois pas bien quel serait leur intérêt de ne pas être transparents quant aux quantités reçues.

Comment s’organisent-ils pour tenter de servir au mieux les officines dans ce contexte ?
Ainsi que je l’ai déjà évoqué, les grossistes-répartiteurs ont renforcé de manière conséquente leur service approvisionnement. De plus, sous la supervision et à la demande de l’ANSM, des bonnes pratiques se mettent en place, comme ne servir que ses clients numéro 1 pour éviter qu’un pharmacien qui n’a pas eu le produit chez son fournisseur ­principal cherche à le commander chez le secondaire. Il y a également le contingentement des produits. Sur ce point, chaque grossiste met en place des solutions spécifiques en fonction des caractéristiques de son système d’information. La relation commerciale et la proximité du grossiste avec ses clients pharmaciens entre également en ligne de compte et certains sujets sont traités de manière plus informelle et pragmatique pour essayer de mettre de l’huile dans les rouages. Dans ce contexte de ruptures longues, les grossistes-répartiteurs deviennent un instrument de régulation au service de l’ANSM pour faire en sorte que le peu de produits disponibles soit le mieux réparti possible. C’est un constat bienvenu lorsque l’on sait qu’en 2012, ils étaient pointés du doigt comme étant responsables des ruptures en raison de pratiques d’exportation mal maîtrisées. Dix ans plus tard, les répartiteurs sont considérés comme une partie de la solution. Le fait que l’ANSM interdise régulièrement des produits à l’export, plus de 1 000 actuellement, ne valide en rien un éventuel lien de causalité exportations-­ruptures. D’ailleurs, il n’y a jamais eu autant de ruptures. Mais, effectivement, en situation de tensions avérées, il me paraît ­parfaitement légitime d’interdire les ­exportations pour garantir que le peu de produits disponibles bénéficie aux patients français. 

La mesure d’interdiction temporaire de vente directe par les laboratoires est-elle respectée ?
Les ventes directes reposent sur des motivations exclusivement commerciales. Elles ne permettent donc pas d’approvisionner le territoire de manière rapide et équitable. Nous livrons deux fois par jour 21 000 officines alors que les ventes directes se concentrent sur 5 000 au maximum.

« Les grossistes-
répartiteurs deviennent
un instrument de
régulation au service
de l’ANSM. »

C’est donc une pratique commerciale qui peut se comprendre mais elle ne participe pas du même ressort que celui sur lequel fonctionne la répartition. Par conséquent, lorsque l’on n’a pas assez de produits pour un marché donné, il me semble que la première chose à faire est d’éviter que le circuit des ventes directes vienne mettre à mal la logique des obligations de service public propre aux grossistes-répartiteurs. Cela a été très visible sur le paracétamol et l’amoxicilline, mais de manière différente puisque seules 20 % des ventes de paracétamol sont en temps normal assurées par la répartition. Malgré l’annonce par l’ANSM de la fermeture de ce canal début décembre, les ventes directes n’ont réellement cessé sur cette spécialité qu’en janvier 2023 pour des raisons diverses et variées. Concernant l’amoxicilline, le phénomène est différent. Alors qu’elles ne représentent d’ordinaire que 20 % des volumes, les ventes directes ont grimpé à 50 % lors des mois d’octobre, novembre et décembre 2022. Y aurait-il eu une anticipation des industriels et des pharmaciens ? Toujours est-il que ces quantités ont manqué par la suite à tout le réseau. Nous pensons donc que dès qu’il y a une tension, avant même la rupture, il convient de mieux encadrer les ventes directes qui seront un facteur d’iniquité. Ce sont deux cas d’école qui nous montrent que ce canal a un effet perturbateur pendant les épisodes de tension. 

Observe-t-on une augmentation du nombre de « short-liners » et quelles sont les conséquences sur le secteur ?
À proprement parler, les « short-liners » n’existent pas puisqu’il s’agit de grossistes-répartiteurs disposant d’une licence comme les autres. Quoi qu’il en soit, il y en avait 20 en 2009 et aujourd’hui on en compte 41. Par ailleurs, il n’est pas simple de prouver qu’ils ne remplissent pas leurs obligations de service public, comme celle de détenir en stock 90 % des spécialités. La situation la plus aisée pour l’ANSM est celle dans laquelle un « short-liner » réalise plus de la moitié de son activité à l’export. Dans ce cas, l’Agence signifie à l’entreprise qu’elle doit changer de statut. Il est évident qu’aujourd’hui la réglementation est contournée ou respectée de manière artificielle. C’est clairement une atteinte à l’image de notre profession, notamment à celle des sept adhérents ­métropolitains de la CSRP (97 % du marché en chiffres ­d’affaires) et de la douzaine en outre-mer qui sont tous des « full-liners ».

Qu’en est-il actuellement de votre modèle économique et quelles sont vos principales revendications ?
Nous traversons depuis 2012 une période de crise économique très aiguë en raison de coûts d’exploitation qui, bien que ­contenus, progressent de manière continue et de ressources en baisse. Les courbes ont donc fini par se croiser à partir de 2018 et, chaque année depuis, les pertes se sont accentuées à hauteur de 15 à 20 millions d’euros supplémentaires. C’est une situation d’autant plus problé­matique que l’on parle de la fragilisation d’entre­prises qui garantissent l’accès au médicament.

« Dès qu’il y a une
tension, il convient de
mieux encadrer
les ventes directes. »

Avec la survenue de la crise de la Covid-19, le gouvernement a mieux mesuré l’utilité des grossistes-répartiteurs qui ont assuré la distribution des masques du stock de l’État, le transfert des médicaments des PUI vers les officines, l’acheminement des solutions hydroalcooliques, sans compter l’arrivée des vaccins avec leurs problématiques de conservation. Nous sommes donc apparus comme le partenaire logistique de référence du gouvernement pour distribuer ces produits. À partir de là, nos difficultés éco­nomiques ont pris un relief différent et un travail a été engagé avec le ministère sur un plan de soutien de la profession. Nous l’avions évalué à 120 millions d’euros et avons finalement obtenu ­90 millions d’euros en jouant sur trois leviers : le relèvement de la marge de distribution, la baisse du taux de la contribution sur les ventes en gros et l’obtention d’un forfait « froid » pour la distribution des produits thermosensibles. Mais l’inflation est venue largement entamer cette revalorisation avec un impact en 2022 de 45 millions d’euros et une estimation à hauteur de plus de 40 millions d’euros pour 2023. En deux ans, le plan de soutien économique sera totalement absorbé. Nous avons donc de nouveau sollicité le gouvernement en lui rappelant que notre capacité à faire face en temps de crise était largement liée à notre besoin de stabilité économique. Nous demandons que la contribution sur les ventes en gros soit encore baissée et que notre plafond de rémunération soit relevé. Nous estimons que le bon montant devrait se situer aux alentours de ­60 millions d’euros au total. 

Comment le secteur compte-t-il intégrer concrètement le virage écologique ?
Nous sommes écologistes par nature car nous mutualisons les livraisons. Il serait d’ailleurs intéressant de regarder dans quelle mesure le flux des ventes directes pourrait être optimisé visant un objectif de réduction de l’empreinte carbone. Le verdissement des flottes est une voie qu’il faut évidemment explorer mais qui se heurte à des difficultés comme l’offre restreinte de véhicules, les capacités de rechargement limitées et la faible autonomie des batteries. L’autre problème réside dans l’accès aux centres-villes. Nous sommes adhérents à la Confédération des grossistes de France qui soutient le programme ­Interlude. Il vise à mettre autour de la table tous les acteurs de la logistique urbaine pour qu’un établissement public de ­coopération intercommunale (EPCI) qui travaille à la mise en place d’une zone à faibles émissions (ZFE) le fasse avec tous les acteurs économiques concernés. Il faut également remettre les choses à leur place. Nous sommes partie prenante de la Fédération française des industries de santé qui participe à la mise en place d’une feuille de route de décarbonation de la filière santé. Or il s’avère que les émissions de CO2 de la distribution n’en représentent, au pire, que 3 %. Ce qui ne veut pas dire que nous ne travaillons pas dans le bon sens car nous sommes parfaitement conscients des enjeux. 

À l’instar des officines, la répartition connaît-elle des difficultés de recrutement de pharmaciens ?
Nous avons effectivement des soucis de recrutement de pharmaciens, notamment liés aux sujets du temps de travail et de la rémunération. Il est vrai que l’attractivité de la filière pharmaceutique dans son ensemble pose problème et nous sommes donc aussi touchés par le phénomène. Nous le voyons également au travers du master « Distribution » que nous pilotons à l’université de Limoges qui attire moins de candidats qu’il y a quelques années.

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