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DPC, on efface tout…

Obligatoire, annuel, contrôlé… voilà ce que ne sera certainement plus le développement professionnel continu (DPC) à compter du 1er janvier 2016, quand la réforme entreprise par les professionnels et le gouvernement sera effective.

Par Laurent Simon

Résultats du sondage « DPC : faut-il tout changer ? » administré en ligne par Le Pharmacien de France sur 234 répondants.

Annoncé comme « proche de la banqueroute » par le Collège de médecine générale fin octobre, le développement professionnel continu (DPC) renaîtrait-il de ses cendres en ce début d’année ? À partir du 1er avril prochain, les pharmaciens pourront en effet redemander à être pris en charge pour plus d’une formation validante par an. Ce retour à la normale, après déjà deux ans de controverse sur le budget de son organisme gestionnaire, est en réalité un trompe-l’œil. Car c’est en pleine tourmente autour autour du projet de loi Santé qu’a lieu une réforme passée remarquablement inaperçue depuis le début des concertations entre les professionnels de santé, le gouvernement – représenté à la fois par le cabinet de la ministre et la direction générale de l’offre de soins (DGOS) –, l’Assurance maladie et le futur ex-Organisme gestionnaire du DPC (OGDPC), dont les heures sont comptées puisqu’il deviendra l’Agence nationale du DPC (ANDPC) dans les mois à venir. À l’issue de plusieurs rounds de négociations, infirmiers, médecins, pharmaciens… ont rendu une série de conclusions le 18 février dernier, qui redessine totalement l’obligation de formation telle que les pharmaciens la connaissent. Dans l’attente des derniers arbitrages ministériels, qualifiés d’« ajustements » et de « stabilisations » à la marge par la DGOS, et du lancement de la communication ministérielle sur ce thème, qui devrait avoir lieu début avril selon Gérald Galliot, président du conseil de surveillance de l’OGDPC, les grandes orientations sont un secret de polichinelle… En effet, dans l’entourage direct de Marisol Touraine, on assure que « tout ce qui qui a été mis au débat a été validé par le ministère », tout en précisant que « seule la réforme de la gouvernance sera inscrite dans la loi Santé. […] Ce qui touche à la nature du DPC et à ses obligations sera réglé par voie réglementaire ». De fait, la réforme du DPC est en passe d’être actée dans l’article 28 du projet de loi de santé discuté au Parlement, qui reprend point par point les conclusions du 18 février. Les dispositions introduites par le gouvernement profilent un DPC qui n’a plus grand-chose à voir avec le modèle originel de la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST) de 2009 et dénoncé depuis comme rigide et peu pratique, en particulier par les médecins. Confronté à une sous-budgétisation chronique – seul un tiers des formations, pourtant obligatoires, pouvaient être financées –, sa réforme était en effet un passage obligé… « Il convient de rénover un dispositif qui, d’une part, fait preuve de lourdeurs et de dysfonctionnements et […] de critiques sur sa transparence et son indépendance », précisait crûment le projet de loi Santé initial.

Médicocentrisme

« C’est une réforme
à la Ponce Pilate. »
Un représentant professionnel

Le système, calqué dès le départ sur la formation médicale continue (FMC) des médecins, a en effet été cadenassé par ces derniers. Au grand dam des autres professionnels : « Il y a un rapport de 1 à 10 entre les dotations des médecins et celles de certaines professions paramédicales. C’est à la limite de l’indécence », commente un connaisseur du dossier, qui dénonce une tentative de réforme « à la Ponce Pilate », qui ne réglera pas ces déséquilibres en confiant la gestion des budgets à chaque profession. De fait, en 2014 chaque médecin « détenait » une enveloppe de 2 990 euros, contre 1 350 euros pour les pharmaciens ou… 852 euros pour les orthophonistes. Un reflet des sommes engagées par l’industrie pharmaceutique dans la FMC que les médecins ne veulent pas laisser échapper aux autres professionnels. « Nous n’acceptons pas le hold-up de la Cnam [Caisse nationale d’assurance maladie, NDLR] sur la taxe sur l’industrie pharmaceutique, sur les anciens fonds conventionnels de formation et la mutualisation des fonds ciblés médecins libéraux au profit des autres professions de santé », peut-on lire dans un courrier du Syndicat des médecins libéraux (SML) du 5 février. Et les médecins ne sont pas davantage prêts à partager maintenant qu’à l’avenir : la « non-fongibilité » des enveloppes cristallise tous les ressentiments. « Il n’y a pas de péréquation prévue entre les professions [au cas où l’une d’entre elles dépasserait son budget, NDLR] », regrette Philippe Denry, président de la commission Relations sociales et Formation professionnelle à la FSPF. Cette décision de « non partage » devrait être actée lors du prochain conseil de surveillance, le 22 avril prochain.

Obligation ultralight

Côté réforme, les choses sont claires : d’annuel, le DPC deviendra triennal au 1er janvier prochain, une disposition que prévoyait déjà l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) en 2013, soit une formation DPC a minima tous les trois ans, à laquelle s’ajouteraient les actions de formation annexes de chaque professionnel – financées par Actalians pour les salariés ou par le FIF-PL côté titulaires, par exemple – pour constituer un « portfolio » qui serait validé à terme par les Ordres… « En trois ans, le pharmacien pourrait [ainsi] effectuer deux programmes hors DPC et une formation DPC. L’Ordre se calera sur les textes et fera un contrôle sur les trois ans, si cela lui est demandé », analyse Isabelle Adenot, présidente de l’Ordre des pharmaciens. Ce dernier s’étant montré très pointilleux sur le contrôle de l’obligation de formation depuis 2012, ses missions s’en trouveraient de fait considérablement allégées. Même si, assure l’Ordre, les contrôles exercés n’ont entraîné « aucune sanction » à ce jour (voir l’encadré « Insuffisant mais pas trop… » ci-dessous). Les Ordres des médecins ou des dentistes n’ont en effet pas montré le même zèle à suivre personnellement le cas de chaque professionnel à leur charge, à travers des courriers de relance réguliers. Et, de fait, les pharmaciens sont la profession qui, proportionnellement, s’est la plus formée…

« La notion d’obligation ne renvoie pas à […] un contrôle sanctionnant. » Extrait de la concertation du 18 février

Le futur DPC ne se concevra plus ainsi puisque l’obligation de formation ne serait opposable au professionnel qu’en cas de souci professionnel, comme une erreur de délivrance chez un pharmacien. Une sorte de circonstance aggravante. Pour décrire la situation future, Gérald Galliot est obligé d’avoir recours à un oxymore : « Nous avions le choix entre une obligation coercitive ou incitative. Elle doit rester incitative en redevenant déontologique plus que légale. » Ce que le document de concertation du 18 février dernier résume sans ambiguïté : « La notion d’obligation ne renvoie pas à une notion de contrôle sanctionnant. » Le même document mentionne une « démarche incitative d’amélioration des compétences et de la pratique ». Une position partagée par le ministère de la Santé et les professionnels. L’Igas ne disait d’ailleurs pas autre chose dès 2013 : « Les contraintes de la vie professionnelle comme de la vie familiale peuvent conduire une personne à planifier son DPC dans un cadre plus souple que l’année civile », expliquait son rapport, qui ajoutait que « deux formations longues dans une période de trois ans peuvent valoir autant, sinon davantage, que trois formations annuelles de moindre durée ».

Le dernier coup de balai sera donné sur les contenus des programmes de DPC. Exit « l’anglais, le management ou la gestion du stress », précise Philippe Denry. Les critères de prise en charge seront resserrés autour du « cœur de métier », avec un « contenu scientifique validé ». En effet, jusqu’à présent, certains organismes de formation peu scrupuleux étaient parvenus à faire prendre en charge des programmes de qualité moyenne ; c’est le syndrome du « programme vitrine », la validation d’un organisme de formation se faisant sur l’examen d’un « DPC témoin ». L’an dernier, 60 % des organismes se sont ainsi vu sanctionner par un avis défavorable de la commission scientifique indépendante (CSI) des pharmaciens… Un autre tour de vis est donc prévu dans les mois à venir pour chasser les marchands du temple de la formation continue. 

insuffisant mais pas trop…

Des sanctions ? Quelles sanctions ? Que risquent les pharmaciens qui dérogent aujourd’hui à leur obligation de formation ? Dans un des courriers qu’il leur adressait en septembre dernier, l’Ordre précisait, en se fondant sur l’article R. 4236-13 du Code de la santé publique, que « l’absence de mise en œuvre de son plan annuel personnalisé [de DPC, NDLR] par le pharmacien est susceptible de constituer un cas d’insuffisance professionnelle ». « Susceptible » : nuance ! Depuis l’entrée en vigueur du décret « Insuffisance professionnelle » le 26 mai dernier, l’Ordre des pharmaciens a de nouveaux pouvoirs de contrôle, lui permettant de prononcer une suspension d’exercice… même si l’« insuffisance professionnelle » ne peut être caractérisée, selon ce texte, par l’absence de DPC. Ne pas suivre de formation DPC ne serait donc aujourd’hui pas automatiquement sanctionné… même si ce serait déontologiquement indéfendable !

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